À la terre…
L’eau vient du ciel comme des profondeurs, elle aime à dévaler la pente. À bien observer, les sinuosités des eaux reflètent l’esprit humain. L’onde, qui pourtant n’exprime rien, envoûte. Chacun sait la vie s’y épanouir.
Après avoir vécu sur une île, sur une péniche dont la cale est l’atelier, puis dans une maison éclusière auprès de l’eau retenue : cette « aqua exclusa ». L’eau domptée, dont procède le terme même d’écluse représente, à mon regard, l’espace du tableau.
Ainsi l’écluse sépare l’eau du courant, permet aux bateaux d’évoluer sans se faire emporter ou être astreints à l’échouage. Faciliter l’approche d’autres lointains, n’est-ce pas là le rôle accordé à l’art ? Métier d’éclusier, métier de peintre, chacun permet de franchir l’obstacle visible ou invisible. Les faveurs de l’art sont un point de passage pour une ouverture, un élargissement où l’esprit s’ensemence et l’envie de poursuivre se régénère. Une façon de vivre civilisé, hors du contexte ambiant.
Être organiquement incluse vaut pour la toile de lin ou géotextile, elles imposent leurs épidermes, il importe d’« y mettre sa peau ».
Peindre n’est rien sans la compréhension des fluides, jusqu’à la lave du volcan, au tsunami. Instaurer une dialectique profonde entre exclusion et inclusion m’impose de ne pas représenter l’image du paysage, mais sa puissance paisible, pourtant impétueuse.
Dépasser ses craintes ancestrales, s’installer près des eaux tumultueuses car poissonneuses, où sur les cônes de magma fertile après l’éruption volcanique, fait partie de la nature humaine. De l’intimité pour cette croûte terrestre qui, par ces failles infernales, fricote sous mes pieds, mes toiles cherchent l’énergie féconde, chère à tant d’artistes…
La construction en damiers délimite un cortège de carrés. Multiplication de la représentation biblique de la terre : cette étoffe carrée, tendue aux quatre coins par les mains de deux anges.
Me reste à réaliser une peinture tellurique où l’homme n’est plus sur terre, mais à la terre.
A. M. avril 2020